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LA GRANDE SAGA DES BEGUINAGES (suite, 3e chapitre)

beguinage Louvain (Belgique)

LA GRANDE SAGA DES BEGUINAGES (suite, 3e chapitre)

le 9 décembre 2020

Louvain, Perpignan, les pionniers du béguinage moderne

Depuis leur fondation il y a neuf siècles, les béguinages sont passés par des temps forts… Ils ont connu aussi bien des vicissitudes, au point de disparaître presque au temps des sans-culotte(s).

Il faudra attendre le tournant du second millénaire pour que quelques pionniers aient l’audace de remettre l’idée au goût du jour : visionnaires, ils ont été les premiers à comprendre ce que les béguinages d’hier pouvaient apporter à notre monde d’aujourd’hui, et peut-être à celui de demain…

… en tenant compte des données sociologiques de notre univers contemporain, et en les ouvrant – entre autres - aux séniors et à la mixité.

Depuis, ces béguinages commencent à faire florès. Ignorés jusqu’à présent du grand public, on commence à entendre parler d’eux, par le bouche à oreille ou les médias.

Unis dans leur diversité, il serait impossible de les énumérer tous ici. A titre d’exemple, nous nous contenterons d’évoquer celui de Lauzelle et celui de Saint-François.

Petit béguinage de Lauzelle (Louvain-la-Neuve)

Comment résumer en quelques mots les principes présidant à la vie d’une fraternité ? Semblable en bien des points à celle des autres béguinages (et maisons d’Alliance), la charte de Lauzelle peut nous y aider.

Elle stipule, dans son premier article, le désir « d’inventer ensemble une vie à la fois plus intérieure, accueillante, solidaire et donc plus évangélique ».

Les articles suivants précisent les modalités destinées à mettre en œuvre un tel désir : partage d’un même habitat, réalisation d’activités communes sociales ou spirituelles - dans un esprit de respect mutuel, de liberté, de service et de joie.

A noter : il est précisé que « le béguinage [doit être] un lieu de projet, respectueux des décisions démocratiques, ouvert sur le monde et les valeurs de la foi, mais ne devant en aucun cas « être considéré comme un couvent, un ghetto ni une séniorie ».

Le béguinage de Louvain-la-Neuve, « le premier béguinage renaissant de ses cendres », comme le rappelle Rita Fenendael, a été fondé par des gens refusant de « courir le risque » d’être marginalisés : au Moyen Âge, il pouvait s’agir d’épouses dont le mari était parti aux croisades ; aujourd’hui, il s’agit de veuves et de veufs, ou de personnes du troisième âge, soucieuses de continuer à assumer leur autonomie dans un cadre fraternel, plutôt que de se laisser porter par toutes sortes d’instances diverses et (a)variées.

Rita Fenendael, quelles sont vos activités au quotidien ?

Il y en a beaucoup. Certains d’entre nous vont suivre des cours à la faculté de théologie ; d’autres s’insèrent dans des comités de quartier ; d’autres encore vont visiter des personnes, ou reçoivent en visite : savez-vous que depuis notre fondation, nous avons reçu trois mille personnes intéressées par notre projet ?

Trois mille personnes !

Un endroit où vous aimez vous ressourcer ?

Le jardin. Que ferions-nous sans ce jardin ouvert sur le monde extérieur ? Le jardin, ce grand lieu des retrouvailles, quand il fait beau : « On s’y ouvre une petite bulle ! »

Qu’en est-il de la « sociologie » des béguins ?

Pfou… Il n’y a pas de religieux ici. Des animaux ? Ils n’étaient pas tolérés jusqu’à présent, mais j’en ai adopté un, qu’ils ont fini par adopter : un petit chat, Dynamos, qui est devenu notre mascotte.

Nous sommes tous âgés entre soixante et septente-trois ans ! Certaines et certains d’entre nous sont repartis, ou ils sont décédés.

Osons le dire : ici, il y a beaucoup de femmes. Alors nous sommes attentifs aux candidatures de couples ou d’hommes seuls.

En principe, les gens sont catholiques, mais ils ne sont pas tous pratiquants. L’un d’entre nous est devenu athée, mais on le respecte. En ce qui concerne les autres religions, pour l’instant ça ne s’est pas fait, même si nous restons très ouverts à ce niveau-là.

Quelles sont vos activités communes ?

Le dimanche, nous avons un drink festif, très apprécié, qui dure au moins une heure. Nous avons des repas fraternels, aussi… Sans oublier Pâques, Noël et les anniversaires.

****

Originaire de Tournai, issue d’une famille nombreuse, Suzette Huvelle est la fondatrice - avec son mari Pierre - du béguinage de Lauzelle, en Belgique, en 1995.

Âgée de « nonante ans », elle a été assistante sociale, avant d’élever leurs trois garçons, et devenir « femme au foyer », comme on dit.

Aussi paradoxalement que cela soit, Suzette a dû passer par l’épreuve de l’enfantement afin d’enfanter le béguinage… Sans carabistouilles, quatre fausses couches, cela fait réfléchir à la vie ; cela fait réfléchir à la vie, à la vieillesse et à la mort !

Comme aime à le rappeler Suzette, la gestation d’un enfant, cela prend neuf mois ; celle d’un béguinage, cela prend quatre ans, et c’est souvent dur à supporter !

En bref, il fallait tout construire, et de gros travaux à entreprendre. « Nous nous sommes heurtés à des refus de permis de construire, etc. Pierre voulait donner aux briques la couleur de la fraternité. Les couleurs, cela demande du temps, beaucoup de temps ! »

Pourquoi avoir fondé le béguinage de Lauzelle ?

Arrivés à l’âge de la retraite, Pierre voulait que nous ne soyons pas démissionnaires, mais que nous restions toujours en mission. Il pensait que vivre en autonomie chez soi, à proximité les uns des autres, c’était un beau projet.

Ce choix a-t-il été difficile ?

Il l’a été pour moi : nous vivions dans un quartier convivial, dont la paroisse s’appelait « Le nom d’oiseau », un milieu engagé où tout le monde s’entendait très bien. Notre engagement au béguinage s’est inscrit dans le désir de continuer cette forme de vie.

Pourquoi ne pas être restés là où vous viviez ?

Parce que… Non. Je ne regrette rien. Ce que j’ai laissé tomber m’enrichit beaucoup. Ce n’est pas perdu : cela reste mon trésor, mais je ne le regrette pas.

Pourquoi ne pas être allée dans une maison de retraite ?

Nous avons toujours pensé, Pierre et moi, qu’il nous restait une mission à accomplir. Une maison de retraite ordinaire, fût-elle dotée d’une excellente aumônerie, cela n’est pas la même chose !

En quoi cela diffère-t-il ?

[…] Nous avons tout de même une charte, même s’il est vrai qu’elle commence à devenir symbolique. (…) La charte est faite pour l’homme, et non pas l’homme pour la loi !

Autrefois, nous avions la messe… Aujourd’hui, nous n’avons plus qu’un partage d’évangile… C’est tout de même super, non ?

Ce ciment nous permet de nous retrouver chaque matin, de 9 heures à 9 h 30, et d’échanger en commun, dans une plus grande intimité que si nous étions à la messe en paroisse…

Ceci étant dit, il est vrai que ceci n’empêche pas cela !

Vous récitez donc « Notre Père » tous les matins ?

Oui. Et ce moment de grâce est suivi d’un temps d’échange auquel chacun est invité à participer. Je tiens à insister sur le fait que notre béguinage aime ce qui est spirituel, mais que notre béguinage est tout sauf une séniorie, un ghetto ou un couvent !

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Oui. Nous nous efforçons d’être ouverts, et nous accueillons des gens divorcés. Cela, je tiens à le dire : nous refusons catégoriquement d’être sectaires en termes de morale, etc.

Comment vivez-vous le confinement ?

Nous restons prudents, mais très ouverts. Une journaliste, Virginie, est venue nous voir et nous filmer : elle pensait que nous étions « l’antidote des pauvres ». Chez nous, il y a les mesures masquées qui s’imposent, mais nous traversons cela comme une vraie fleur des champs !

 

Cloître Saint-François (Perpignan)

Lors d’un rangement de la cave, un béguin de Perpignan est tombé sur un petit cahier à spirales, un « carnet de bord » daté du 16 janvier 2014 au 24 mai 2016.

Ecrit à plusieurs mains - les unes assurées, les autres, maladroites ; ancrées de doutes ou de certitudes ; encrées de noir, de rouge ou de bleu… Avec quelques maladresses de style, mais toujours avec la fraîcheur de la spontanéité. Une écriture stricte ou non… Certains textes sont anonymes, d’autres signés : un graphologue en ferait son régal, mais là n’est pas notre propos.

Qui sait si les historiens ne se pencheront pas un jour sur ce précieux témoignage ? En voici quelques extraits.

2014

16 janvier.- Première nuit au béguinage Saint-François, pour les téméraires qui commencent à s’installer : Yvette, Rolande, Liliane, Annie-Gabrielle, Gérard, Simone, Pierrette.

Nous sablons le champagne devant le n°6, sur la coursive du bas, en présence des pères Louis, Denis, Benoît…

Il reste encore quelques travaux de finition. […]

28 janvier.- Prière tous ensemble chez Francette. Nous décidons de nous réunir le soir à 19 heures, quand les cloches sonnent l’angélus. […]

31 janvier.- La voiture de Dany est incendiée dans la nuit. (Au-delà du fait divers, l’installation du béguinage a fait l’objet de bien des hostilités – son fondateur, Thierry Prédignac, n’a-t-il pas lui-même été l’objet de menaces ?)

2 février.- Nous mangeons tous ensemble les crêpes de la chandeleur : joyeuse réunion !

12 février.- Première réunion commune avec repas partagé : que d’amour dans nos assiettes ! Le père Pierre nous propose de nous accompagner pour apprendre à prier (sic). Il attend nos souhaits.

14 février.- Arrivée de Nicole, qui vient de la Réunion. Tout le monde se retrouve autour d’elle pour le café. Elle est prête à intégrer le groupe au mois de mai. (Après avoir assuré la présidence de l’association Vieillir solidaires, Nicole rejoindra la communauté des Béatitudes.)

15 février.- Premières plantations dans le cloître. Jean-Luc, Rolande, Pierrette et Simone sont partants pour s’occuper des jardins. (L’accomplissement des tâches d’intérêt général est réparti entre divers ateliers – jardinage, bricolage, accueil… - , auxquels s’inscrivent les résidents, en fonction de leurs compétences et de leurs désirs.)

19 février.- Brigitte nous apprend qu’elle va nous quitter.

20 février.- Atelier d’écriture proposé pour ceux qui le souhaitent. Bon moment de partage et d’imagination, sans compter les parties de scrabble !

22 février.- Journée spirituelle au parc Ducup (la maison diocésaine), sur Le dialogue des carmélites - une pièce de Georges Bernanos -, avec le père Marty.

23 février.- Sortie à Saint-Martin, pour voir le spectacle monté par les jeunes de l’aumônerie avec les clarisses : Deux fous de Dieu… (Les béguins entretiennent des sorties régulières : visite de la maison de Salvador Dali, à Cadaquès ; Palau del Vidre (un village d’artisans souffleurs de verre) ; Prades – festival Pablo Casals et musée de la taille du grenat - ; découverte des vignobles environnants ; soirées cinéma ; théâtre de l’Archipel…)

5 mars.- Ce matin, tout le monde est présent pour la messe du mercredi des Cendres, sauf Gérard, pas encore tout à fait remis de sa grippe. (Détail révélateur de l’attention que les béguins se portent les uns pour les autres… Une attention qui aura évité à Jacques de finir ses jours dans l’anonymat d’une chambre d’hôpital, alors qu’il était atteint d’une longue maladie.)

15 mars.- Thierry apporte des plantations : citronnier, oranger, pamplemoussier et plantes grasses, dont un magnifique yucca !

17 mars.- La charte a été reprise point par point. (Régulièrement amendée, elle continue à servir de principe de vie commune.)

24 mars.- A la messe de ce matin, le père Zoupa a annoncé le départ des prêtres clarétains. Lui-même et le père Louis vont nous quitter cet été… Déception et tristesse pour notre béguinage et la paroisse : qui va leur succéder ? (Le béguinage ayant un accès privatif à l’église mitoyenne, plusieurs de ses résidents ont l’habitude d’assister aux offices quotidiens.)

26 mars.- Réunion hebdomadaire. Après une courte invocation, nous relisons le compte-rendu de la réunion précédente. Quelques précisions sont demandées, suivies d’un échange un peu vif. La soirée se termine par un repas en toute sérénité. (Le béguinage n’est pas un univers de bisounours. Les caractères et les idées s’y frottent, comme dans toute communauté… Fort heureusement, le dîner est là pour réconcilier les cœurs affamés de paix.)

2 avril.- Bénédiction du béguinage de Perpignan par le père Louis :

Rassemblés des quatre coins de France dans cette résidence dédiée à saint François, nous espérons, comme pour Zachée, que Jésus « demeure chez nous aujourd’hui ».

6 avril.- Repas paroissial à la salle Al sol. Nous sommes huit à y participer : l’occasion de faire connaissance avec les gens du quartier.

9 avril.- Le père Pierre nous [invite à participer à] l’accompagnement au baptême, aux obsèques, au catéchisme, à la visite des malades et des personnes isolées… Selon lui, une retraite annuelle de cinq jours pourrait nous aider à souder notre groupe.

11 avril.- Installation du composteur, où chacun déposera ses déchets. (Ce n’est pas parce qu’on est béguin que l’on n’est pas écolo !)

17 avril.- Jeudi saint. Premier triduum pascal de notre béguinage. L’Eucharistie nous réunit pour la Cène et l’adoration. Annie et Gérard participent au lavement des pieds. (Le béguinage est partie prenante dans le déroulement de la liturgie.)

20 avril.- Jour de Pâques. Alleluia, il est vraiment ressuscité !

Oui,, il est vraiment ressuscité, et c’est ce dont les béguins s’efforcent de rendre témoignage, chacun à sa façon : Marc et Pascale au jardin ; Francine aux obsèques ; Dany à l’accueil ; Pierre à la comptabilité…

Aujourd’hui, le béguinage de Perpignan réunit une quinzaine de béguins, tous animés par le même souci que leurs frères et sœurs du petit béguinage de Lauzelle : porter un témoignage de leur existence, et le témoignage de leur foi auprès des générations à venir…

Un sacré boulot, mais l’enjeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

© Laurent Charnin.

laurent.charnin27@gmail.com

Contacts

1.- Petit béguinage de Lauzelle – 1, rue de Neufmoustier, Louvain-la-Neuve (Belgique), tél. 00 32 2 318 04 78.

2.- Béguinage de Perpignan – 11 bis, rue Paul-Fort, 66000 Perpignan, tél. 06 19 65 58 18.

 

 

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